Gérer les émotions pour mieux conduire une négociation

Être anxieux avant un premier rendez-vous de négociation. Se sentir enthousiaste ou au contraire en colère durant les entretiens. Eprouver de la déception, de la tristesse, des remords ou des regrets à l’issue d’une tractation… Les ressentis ou l’expression des émotions interviennent tout au long du processus de négociation.

Ces émotions et leurs manifestations sont une « boussole ». Elles communiquent des informations sur nos peurs ou nos intérêts et il convient de savoir les décoder. Du latin « Ex motere », les émotions sont nécessaires et incitent à nous mettre en mouvement. Elles sont donc utiles et positives tant qu’elles ne deviennent pas excessives et ne viennent pas perturber notre jugement ou notre capacité à interagir raisonnablement avec nos interlocuteurs.

Lorsqu’elles ne sont plus maitrisées elles peuvent alors conduire à une perte de contrôle de la parole, des repères ou de la capacité d’écoute. Notre cerveau « Reptilien », centre des émotions et de l’instinct de survie prend alors en otage notre « Cortex » et ne sommes plus capables de gérer les situations de manière factuelle et rationnelle mais laissons libre court à l’irrationnel et le subjectif qui conduisent inexorablement au conflit.

Aussi, comprendre ses émotions et leur signification pour rester maitre de soi mais également savoir décrypter celle de l’autre pour mieux contrôler la situation accroit significativement les chances d’aboutir à un accord satisfaisant pour tous.

Etape 1 : Identifier les causes

Les sources d’exacerbation des émotions au cours d’une négociation peuvent être multiples :

  • De réels enjeux financiers
  • Une pression personnelle mise par un tier ou fixée pour soi-même.
  • Un égo en danger lorsque l’on craint de voir remise en cause l’image que l’on a de soi ou que l’on voudrait projeter.
  • La peur du « Non » perçu comme un rejet pour certains, ou révélateur d’une difficulté à gérer les frustrations pour d’autres.
  • Les tactiques de déstabilisation ou de manipulation utilisées par l’autre partie, qu’elles soient volontaires ou non, conscientes ou pas.

Les deux compétences à développer à ce stade sont la capacité d’introspection de ses propres ressentis et l’art de l’observation active du comportement adverse. Tout d’abord apprendre à identifier ses propres émotions au moment où elles effleurent. Ensuite, savoir prendre du recul et observer la scène comme une pièce de théâtre pour comprendre ce qui se trame, le plus objectivement possible. A force d’exercice, vous apprendrez à lire dans le non verbal, les gestes, les postures, les changements soudain d’attitude, les émotions qui émergent et viennent influer sur le cours de la négociation.

Etape 2 :  comprendre ce qui se joue :

La plupart des cas où l’un des acteurs perd la maîtrise de ses émotions reposent sur l’une des deux situations suivantes :

  • Soit il a interprété les propos de son interlocuteur comme une attaque personnelle (« on me traite de menteur », « d’incapable », « on remet en cause mon honnêteté », « ma compétence » ou « mon intelligence »)
  • Soit il considère, à tort ou à raison qu’il n’y a pas d’issue, qu’un accord est impossible et il entre alors en panique.

Parvenir à identifier si l’un de ces motifs est à l’origine de l’apparition soudaine d’une émotion forte pendant la négociation permet de faire redescendre la pression.

Etape 3 : charité bien ordonnée commence par soi-même

Tel un alpiniste qui sécurise sa propre corde avant d’assurer les fixations des suiveurs, il faut commencer par maîtriser ses émotions et rester dans son « cortex » avant d’essayer de faire sortir son interlocuteur de son « reptilien ». Pour cela, avec un peu d’entrainement on peut réussir à :

  • Apprendre à identifier les signes de montée de l’émotion : s’entrainer à les ressentir et agir dès les premiers signaux faibles.
  • Puis, se demander, en conscience ce qui se joue en réfléchissant factuellement sur les causes de cet émois soudain.
  • Enfin, exprimer (faire sortir, au sens propre) l’émotion en la partageant lorsque c’est possible ou simplement en l’écrivant pour soi sur une feuille de papier.

D’autres astuces pour contrôler son stress et rester maître de soi existent. Parmi celles-ci nous pourrions citer :

  • Compter (1,2,3,4…4,3,2,1) car seul le « Cortex » permet cet exercice.
  • La « check list du pilote » qui consiste à rester concentré sur les faits et les différentes étapes du processus pour éviter à notre cerveau de surinterpréter la situation.
  • Evoquer des situations pour faire descendre la tension (penser à des êtres chers pour relativiser la situation, visualiser « l’après » pour anticiper le sentiment de soulagement que l’on peut ressentir lorsqu’une épreuve est terminée ou encore un succès passé pour retrouver sa confiance en soi).
  • Et bien sûr respirer profondément. Oxygéner son cerveau pour faire retomber la tension.

Etape 4 :  gérer les effets des émotions de l’autre :

Nous ne pouvons bien évidement pas nous glisser dans la tête de nos interlocuteurs. Et l’empathie, qui consiste à percevoir et comprendre les émotions de l’autre ni signifie pas que ce problème devient le notre ou que nous aurions un droit de regard sur son ressenti.

Par contre, nous pouvons faire en sorte de ne pas provoquer d’émotion excessive par un comportement coupable. Pour cela, il vaut mieux utiliser le « Je » pour exprimer un point de vue plutôt qu’un « Vous » accusateur. Il est également préférable d’éviter certains termes définitifs tels que « Jamais » ou « Toujours » qui conduisent invariablement à une impasse. Et bien évidement ne pas user de mauvaise foi, de ne pas jouer l’indifférence, de rester calme et respectueux, cela va sans dire.

Par ailleurs, en sachant que les principales causes de dérèglement brutal du contrôle des émotions est lié aux deux causes citées précédemment (« prendre les choses personnellement » et « ne pas voir d’issue possible »), il existe des mots simples qui à eux seuls peuvent évacuer tout malentendu :

  • « Nous sommes bien d’accord qu’il n’y a rien de personnel là-dedans ». Ceci permet de recentrer le débat du personnel vers le professionnel.
  • « Lorsqu’il y a un chemin, il y a une vérité » (certain l’attribuent à Churchill, d’autres à Lénine). Cela ne signifie pas que la route sera aisée et que la solution est à portée de main, mais cela a le mérite d’exprimer clairement la possibilité d’une issue positive et votre volonté d’aboutir.

L’émotion est partie prenante de la négociation. Il est inutile de lutter contre mais plutôt d’essayer de   contrôler ses effets. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de performance pour gagner la négociation, mais aussi et surtout de mieux vivre ces situations transactionnelles, de gagner en confort et en plaisir en étant en prise avec les émotions, de les comprendre et d’apprendre à les apprivoiser.

 

Eric De Cozar

#émotions #négociation