Négociations vaccins anti- Covid 19 : Quelles stratégies pour quels résultats ?

Les négociations autour de l’achat des vaccins contre la Covid 19 entre la Commission européenne et les laboratoires restent opaques, mais le voile commence à se lever sur les coulisses des contrats. Essayons d’analyser les enjeux, les paramètres de la négociation et les rapports de force ayant conduit aux accords sur les tarifs et les conditions agréées.

Une chaine de valeur complexe à prendre en considération dans le calcul du prix :

Parmi les éléments factuels à intégrer dans le calcul du prix, il y bien sur les coûts de production ou la chaine logistique. Il faut, par exemple, compter de 3 à 6 mois pour sécuriser les matières premières, payer les fournisseurs, embaucher le personnel et le former. Mais à cela s’ajoute des paramètres moins tangibles tels que la propriété intellectuelle ou l’amortissement des frais de recherche. Tout ceci est à considérer dans le calcul du prix mais cela n’empêche pas les acheteurs de pouvoir négocier ces prix. Les paramètres et les leviers dans ce domaine sont multiples.

La loi de l’offre et la demande est plus équilibrée qu’il n’y parait :

Il existe deux manières de regarder ce marché du vaccin anti-covid. La première consiste à considérer qu’il y a peu de laboratoires capables de proposer des vaccins dont la performance et la sécurité sanitaire est avérée et qu’ils sont donc en position de force face à la multitude de pays en concurrence pour les obtenir. L’autre serait de considérer que le nombre de laboratoires capables d’apporter une nouvelle offre augmente chaque mois et que les « acheteurs » ont un pouvoir lié à la quantité mais aussi à la durée (renouvellements potentiels de vaccination) leur permettant de les mettre en concurrence.

Les quantités commandées comme levier de négociation :

Malgré les limites de productions et l’absence de stocks disponibles, certains pays ont fait le choix de passer des commandes en très grandes quantités pour tenter d’obtenir de meilleurs tarifs. C’est le cas du Canada qui commandé 358 millions de vaccins pour ses quelques de 38 millions d’habitants. D’autres, comme Les Emirats Arabes Unis envisagent même de commander des vaccins supplémentaires pour organiser du « tourisme vaccinal ». L’Europe a également fait le choix de commander massivement pour influer sur le prix d’achat.

Une prime à l’anticipation et à l’investissement dans la course aux délais de livraison :

La concurrence entre les pays pour obtenir les doses vaccinales dans les meilleurs délais, a amené certains pays à adopter différentes stratégies pour sécuriser les livraisons. Certains ont fait le pari du financement de la recherche auprès des laboratoires. Les USA, par le biais de l’opération « Warp speed » ont investi 11 milliards de Dollar, ou encore, le Royaume unis a décidé d’aider une start up franco autrichienne basée à Nantes (Valvena). D’autres, ont plutôt fait le choix de miser sur des commandes anticipées pour s’assurer de recevoir les premières doses disponibles, au risque de s’engager sans avoir de garantie sur la sécurité et l’efficacité du vaccin. L’Europe a choisi de prendre le temps de la validation des données scientifiques et de négocier les tarifs au risque de recevoir les doses plus tardivement. Par exemple, les laboratoires AstraZeneca affirment avoir signé un accord ferme avec le Royaume Unis trois mois avant l’Union Européenne.

Les délais de paiement et la garantie de tarif dans le temps comme leviers de négociation :

Nous nous souvenons tous de ces scènes d’échanges de masques sur les tarmacs d’aéroports contre des valises d’argent liquide. Sans aller jusqu’à ces excès, le délai de paiement est un des facteurs différentiant influant sur les tarifs et la priorisation des livraisons. De même, la garantie du tarif sur la durée influence aussi la négociation et le coût total. Par exemple, le contrat AstraZeneca signé avec l’EU en 2020 révèle un accord sur le maintien du coût de 1,78 € par dose jusqu’au mois de Juillet 2021.

Les clauses annexes jouent aussi un rôle majeur dans les négociations :

Enfin, au-delà du tarif, des délais et autres facteurs financiers, la négociation sur les vaccins repose aussi sur les clauses annexes. Et dans ce domaine, la créativité est reine. Par exemple, certains pays tel Israël auraient accepté l’utilisation des données personnelles des patients par les laboratoires pour obtenir la primeur des livraisons. De son côté, le Royaume Uni aurait accepté d’inclure une clause dédouanant les laboratoires de toute responsabilité en cas d’effets secondaires. Ici, l’Europe s’est montrée ferme, refusant de plier aux injonctions de laboratoires.

 

Dans ce contexte, en considérant l’ensemble de ces paramètres de négociation, l’Europe a décidé d’aborder une stratégie et une tactique spécifique.

La stratégie Européenne : une négociation de groupe et d’achat de volumes  

Forts des leçons de la « guerre des masques » au printemps 2020, l’UE a jugé nécessaire de lutter contre les « politiques nationalistes » considérant que les vaccins devaient être un bien public.

Par ailleurs, considérant cette lutte contre la pandémie comme un « Marathon », elle a décidé de prendre le temps de négocier les prix et de valider la fiabilité des vaccins au risque de perdre la « course de vitesse » engagée par ses concurrents.

Ainsi, les négociateurs européens ont constitué une « centrale d’achat », seule entité habilitée à négocier au nom des pays Européens. Cette stratégie d’achats groupés couplée avec une tactique de commande massive a permis d’obtenir des prix très compétitifs. Ainsi, quand les Américains commandaient 100 millions de doses du vaccin BioNtech/Pfizer, les Européens prenaient commande pour le double. Et selon Reuters, l’Union européenne a obtenu un prix unitaire de 15,50 euros par dose du vaccin développé par Pfizer quand les Etats-Unis vont l’acquérir au prix de 25 dollars par dose.

Les négociations ne font que débuter, la suite promet d’être épique :

Ces négociations autour du vaccin anti-covid ont montré à quel point l’industrie pharmaceutique est devenue stratégique au même titre que la défense, l’environnement ou l’agroalimentaire. Cette crise a confirmé certaines velléités de souveraineté parmi les pays et leurs dirigeants, sous la pression de leur électorat et dans leur volonté de se maintenir au pouvoir, ont utilisé ces négociations pour travailler leur image. Par exemple, Donald Trump a fait le pari de l’arrivée du vaccin avant les élections, la Russie se valorise de ses succès en matière d’efficacité de sa formule Spoutnik pour se positionner sur la scène diplomatique ou encore les anglais justifient le Brexit par leur stratégie vaccinale qu’ils considèrent comme un succès.

Il est encore trop tôt pour trop tôt pour juger la stratégie européenne de vaccination. L’avenir dira si l’équilibre entre la nécessité de sauver des vies, celle de sécuriser les approvisionnements, celle d’assurer la fiabilité des vaccins et les contraintes financières a été optimisée. Mais ce qui est sûr c’est que les négociations entre états et laboratoires ne font que démarrer. En effet, le prochain défi du monde et de l’Europe sera de conjuguer « science et solidarité ». L’éradication de la pandémie passera par une vaccination ou un traitement appliqué sur l’ensemble de la population mondiale. Or, tous les pays ne sont pas en mesure de financer ces programmes. L’Europe a un rôle à jouer et les discussions sont déjà ouvertes, en interne, avec nos partenaires dans le cadre de l’OMS et avec les laboratoires. Comme disait Churchill : « Ce n’est pas la fin, ce n’est même pas le début de la fin mais c’est peut-être la fin du début ».

Eric De Cozar