Les négociations dans l’univers des transferts de joueurs de football professionnels

Chaque année à l’intersaison, voire deux fois l’an si l’on considère la période du « mercato d’hiver », de nombreux transferts de joueurs de football professionnels alimentent les rumeurs et les discussions. Que ce soit dans la presse, les réseaux sociaux, les conversations de bistrot ou de bureau, les amateurs de football ne parlent que de ça.

Ces négociations de transferts de joueurs sont très proches, dans leur approche, des négociations commerciales et illustrent particulièrement trois domaines souvent étudiés en négociation :

  • La répartition des pouvoirs
  • La création d’options d’échange
  • Les jeux et tactiques de déstabilisation

La répartition des pouvoirs

Le rapport de force en négociation donne un avantage significatif. Dans le cas extrême où l’une des deux parties détiendrait tous les pouvoirs, il n’y aurait pas de négociation mais un diktat. Ce rapport de force évolue et penche en faveur des clubs ou des joueurs, au gré des tendances du marché ou des règlementations. Pour influencer ce rapport de force, il existe plusieurs types de pouvoirs, de nature à renforcer ses positions :

 Le pouvoir personnel, est la capacité individuelle de prendre l’ascendant. Il ne s’agit pas uniquement de charisme ou d’autorité naturelle même si cela peut faire la différence, mais de compétences qui peuvent s’acquérir, tels que la préparation, l’attitude ou le réseau.

En complément, se superpose le pouvoir de légitimité. Il dépend de la réputation, l’expertise et le niveau d’expérience du joueur. En effet, un joueur régulier dans ses performances, international dans son pays, ayant déjà remporté la champion’s league ou la coupe du monde, réputé pour son leadership dans le vestiaire et qui ferait vendre de nombreux maillots à son nom aura forcément plus de valeur qu’un jeune talent prometteur mais encore inconnu.

Par ailleurs, il existe bien évidement un pouvoir économique. Il ne s’agit pas ici uniquement du budget du club mais d’une somme de critères aussi divers que subjectifs et dont la valeur est difficile à estimer. Les clubs peuvent, par exemple, mettre en avant l’attractivité de leur championnat, l’attrait de la ville, la qualification du club dans une compétition prestigieuse offrant au joueur de la visibilité et de l’intérêt sportif. Le joueur peut quant à lui s’appuyer sur sa valeur marchande supposée ou son potentiel de développement.

Enfin, il existe d’autres types de pouvoirs que l’on appelle « Les pressions PMT » acronyme de l’anglais People, Money, Time. La pression personnelle (ambitions, injonctions des proches…), la pression de l’argent ou celle du temps peuvent amener celui qui la subit à accepter des conditions moins favorables. C’est le cas pour les joueurs en manque de temps de jeu à l’approche d’une compétition internationale, susceptibles de signer dans le premier club lui offrant une garantie de temps de jeu. A l’inverse, un joueur arrivant en fin de contrat peut être tenté de refuser une proposition de prolongation pour négocier, à son profit, la prime de transfert avec son futur club.

Ces pouvoirs peuvent être travaillés, renforcés, inversés. Et tant qu’il y une répartition plus ou moins équitable de ces pouvoirs, il y a matière à négocier, à échanger.

La création d’options d’échange

On imagine souvent les discussions concernant le contrat d’un joueur, tourner autour du montant du rachat de son contrat en cours, de son salaire, de ses primes et des commissions de ses agents.

En réalité, il s’agit de négociations extrêmement complexes et multipartites. Les « objets de négociation » comme on les appelle dans le domaine commercial sont ici légion.

Bien évidemment, le salaire de base du joueur, est un point de départ et son montant dépendra de nombreux paramètres. Le budget du club et sa politique salariale, le salaire des autres joueurs de l’équipe au profil similaire, sa valeur estimée sur le marché et les offres potentielles de la concurrence…etc. Mais il existe d’autres moyens de rémunérer le joueur. La créativité en matière de clauses contractuelles, primes et droits d’image n’a pas de limite.

La complexité de ces discussions vient aussi du fait qu’il ne s’agit pas uniquement de prévoir la rémunération du joueur mais sa valeur d’achat et de revente de contrat. Une bonne ou une mauvaise gestion du contrat du joueur peut augmenter ou diminuer sa valeur et impacter significativement les finances du club. Un joueur arrivé libre en fin de contrat peut s’engager ou il le souhaite sans indemnité de transfert. Il va de soi, qu’il monnaiera cet avantage à son profit. Inversement, un club n’a aucun intérêt à laisser un joueur arriver en fin de contrat. Pour certain club, il s’agit même d’un exercice financier stratégique. Le business model du club de Porto, par exemple, est basé sur la formation de jeunes talents achetés à moindre coût ou formé dès le plus jeune âge dans le centre de formation du club pour les revendre plus tard.

Mais tout ceci serait encore trop simple s’il ne s’agissait d’une négociation multipartite.

D’un côté, le club avec ses objectifs budgétaires et sportifs. De l’autre, le joueur assisté de ses agents et avocats, en recherche du meilleur compromis financier et sportif. Au milieu, les sponsors influent sur la discussion car la notoriété et les performances du joueur joueront un rôle sur l’image de leur marque.  Sans compter les proches, la famille, le sélectionneur national ou les médias, jouant chacun un rôle dans ces négociations.

Tout l’art des négociateurs sera de créer un maximum d’options pour les échanger intelligemment et permettre à chacun de tirer un bénéfice acceptable. Et pour optimiser le partage de cette valeur à son avantage, il existe des tactiques dont chacun tentera d’user à son bénéfice.

Les jeux et tactiques de déstabilisation

On cite souvent en exemple les techniques de déstabilisation utilisées par les acheteurs de la grande distribution pour perturber leurs fournisseurs et imposer leurs conditions. Les méthodes utilisées par les acteurs du monde du football n’ont rien à leur envier. Il n’y a pas toujours de limites déontologiques et la fin justifie malheureusement souvent les moyens.

La seule limite est celle du droit. Les avocats et conseils juridiques prennent parfois le pas sur les professionnels du métier. Chaque année, les tribunaux des prudhommes sont saisis d’affaires de rupture de contrat de travail contesté par les entraineurs. Il arrive même que des huissiers soient appelés à constater des mises à l’écart de joueurs se plaignant « d’empêchement d’exercice de leur profession »

Mais il existe de nombreuses tactiques de déstabilisation qui, si elles restent moralement contestables, sont totalement légales. L’objectif de ces tactiques est de surprendre, il s’agit d’être imprévisible. Mais cela ne signifie pas être incohérent. Les sorties médiatiques de Jean Michel Aulas, président de l’Olympique Lyonnais, par exemple, sont toujours calibrées et ont pour but de détourner l’attention.

Parmi les techniques généralement utilisées par les clubs et les agents, il y a bien évidement le bluff. L’un dira qu’il a de nombreuses options et hésite sur le profil du joueur à recruter quand l’autre affirmera qu’il a des offres concrètes d’autres clubs désireux d’investir sur son joueur. Dans ce domaine les médias et les réseaux sociaux sont largement utilisés par les manipulateurs en tous genres.

Le chantage est, hélas, aussi une arme redoutable utilisée sans retenue. Certains joueurs annoncent publiquement qu’ils préfèreraient mettre un terme à leur carrière si on leur refuse ce qu’ils demandent, sous entendant qu’ils perdraient alors toute valeur marchande. D’autres, au contraire, menacent d’aller au bout de leur contrat, afin de partir libre si on ne les revalorise pas ?

Mais les clubs ne sont pas en reste en matière de moyens de pression. Un joueur international privé de temps de jeu et relégué « sur le banc » à l’approche d’une compétition majeure s’il refuse de signer le contrat proposé sera forcément déstabilisé.

Ainsi, la question de la moralisation du marché des transferts et du contrôle des fonds est un sujet d’importance. Pour essayer d’assainir les pratiques dans ce milieu, la Fédération Française de Football à mis en place, depuis quelques années, un examen obligatoire pour les agents désireux d’agir sur le marché Français. L’avenir nous dira si cela suffira pour contrôler un marché dont les enjeux financiers sont colossaux.

Eric De Cozar