La négociation dans l’univers des transferts de joueurs de football professionnels

Un article d’Éric DE COZAR, consacré à La négociation dans l’univers des transferts de joueurs de football professionnels.

Chaque année à l’intersaison, voire deux fois l’an si l’on considère la période du « mercato d’hiver », de nombreux transferts de joueurs de football professionnels alimentent les rumeurs et les discussions. Que ce soit dans la presse (écrite comme orale), les réseaux sociaux, les conversations de bistrot ou de boulot, on ne parle que de ça.

Ce phénomène pourrait intéresser sérieusement les sociologues et psychologues de tous poils tant il révèle les travers de la nature humaine en matière de propagation d’informations manipulatoires, de course au scoop, de curiosité malsaine et de transfert ….de personnalité.

En effet, Il est amusant d’observer l’implication émotionnelle et l’identification de certains supporters dans la vie de leur club de cœur et la relation psychologique qu’ils entretiennent avec les joueurs de l’équipe. Certains les considérant comme des Dieu, d’autres se comportant en « propriétaires » au prétexte qu’ils paient leur place, d’autres encore ayant l’impression d’être personnellement « représenté » par les joueurs et l’équipe, vivant comme une fierté personnelle ou une humiliation intime les victoires ou les défaites.

D’un point de vue moral, on peut également s’interroger sur ce qui se joue concrètement lors de ces transferts. Si l’on considère que le cœur de ces négociations repose sur les termes d’un contrat de travail, on pourrait faire un parallèle avec l’univers des ressources humaine en entreprise. Par contre, s’il on prend en compte le fait que deux clubs et leur représentants discutent des modalités d’achat de droits sur un individu, on est en droit de se demander la différence entre ce type de commerce et celui des esclaves jadis.

Enfin, d’un point de vue philosophique, on pourrait alors de demander si les montants perçus par les joueurs atténue les restrictions morales soulevées ci-dessus et par voie de conséquence disserter sur le rapport de l’argent au bonheur et à la liberté.

Mais ce n’est pas le propos qui nous intéresse ici. Le propos de cet article est d’analyser les similitudes entre ces négociations dans l’univers de transfert de joueur de football et celles animent les rélations commerciales.

De fait, ces transferts devraient intéresser négociateurs professionnels quel que soit leur domaine d’activité, tant les techniques, stratégies et tactiques utilisées par les différentes parties sont proches.

Tout d’abord, il s’agit de négociations en soi, avec leur cortège d’enjeux, de rapports de forces, de stratégies et de tactiques. Comme toutes négociations, elles débouchent sur un accord puis un contrat stipulant les termes et les conditions de cet accord.

Mais ce qui est particulièrement intéressant pour les praticiens et enseignants de la négociation, c’est de voir à quel point ces négociations de transferts de joueur illustrent plus particulièrement trois domaines souvent étudiés en négociation commerciale :

  • La répartition des pouvoirs
  • La création d’options d’échange
  • Les jeux et tactiques de déstabilisation

La répartition des pouvoirs

Le pouvoir en négociation donne un avantage significatif. Dans le cas extrême ou l’une des deux parties détiendrait tous les pouvoirs, il n’y aurait pas de négociation mais un diktat. C’est l’impression que l’on peut avoir parfois lorsqu’on observe l’attitude de certains joueurs ou agents. Certains considèrent, en effet, que le rapport de force s’est inversé ces dernières années en faveur des joueurs. Le fameux arrêt Bosman y serait pour beaucoup. Les sociologues diront que la nouvelle génération, appelée « Y », est plus décomplexée et s’appuie sur l’expérience de leurs ainés pour oser demander plus. Pour d’autres, cette génération manquerait de repères, d’éducation et de valeur morale qui expliquerait leur intransigeance. Tout cela est peut-être vrai, mais ce serait oublier le rôle de ceux que l’on peut appeler les éléments externes, tels les proches (familles, amis d’enfance), les agents, les sponsors ou encore les médias dont chacun trouve un intérêt dans ces mouvements de joueurs ou ces modifications de contrat.

Pour en revenir à la répartition des pouvoirs, il est à noter qu’il existe plusieurs types de pouvoirs :

Le pouvoir personnel, est la capacité individuelle de prendre l’ascendant. Il ne s’agit pas uniquement de charisme ou d’autorité naturelle même si cela peut faire la différence, mais de critères qui peuvent s’acquérir. Tels que la compétence, le niveau de préparation ou l’attitude. Ce type de pouvoir intervient moins dans les discussions contractuelles des joueurs que le pouvoir de légitimé.

Dans le cas qui nous intéresse, la légitimité que l’on peut aussi traduire par crédibilité, repose sur la réputation, l’expertise et le niveau d’expérience du joueur. Pour prendre un exemple concret, un joueur régulier dans ses performances, international dans son pays, ayant déjà remporté la champion’s league ou la coupe du monde, réputé pour son leadership dans le vestiaire et qui ferait vendre de nombreux maillots à son nom aura forcément plus de valeur qu’un jeune talent prometteur mais encore inconnu.

Mais le type de pouvoirs qui fera véritablement la différence dans la négociation sera le pouvoir économique. Il ne s’agit pas ici uniquement du budget du club mais d’une somme de critères aussi divers que subjectifs et dont la valeur est difficile à estimer.

Les clubs peuvent mettre en avant l’attractivité du championnat. Il sera plus aisé de valoriser cet atout pour un club anglais ou espagnol que pour un club Turc, Suisse, Hollandais ou même Français.

Au-delà du championnat, l’attrait de la ville peut être un argument. C’est sans doute ce qui sauve le Paris St Germain face à certains concurrents ou handicap parfois les deux clubs de Manchester malgré leurs budgets colossaux. Pour en revenir à l’influence des « éléments externes », n’oublions pas l’importance de l’avis des épouses de joueurs qui préfèrent le dynamisme d’une ville cosmopolite et confortable dans un pays au climat doux plutôt qu’un exil isolé dans une contrée hostile. Tout ceci se mesurant parfois au nombre de boutiques de luxe et aux nombre de restaurant étoilés.

Ils peuvent aussi arguer de la présence du club, qualifié dans une compétition européenne ou potentiellement favori pour remporter des titres nationaux, susceptible d’offrir, outre un challenge sportif excitant, une exposition médiatique de nature à augmenter la valeur des contrats marketing du joueur et ses chance d’être retenu parmi les heureux élus dans la liste de son sélectionneur national.

Le troisième type de pouvoir influant dans ce rapport de force est le pouvoir de la relation. C’est sans doute le plus long à construire et le plus fragile à maintenir. Il repose sur la confiance et, le respect. C’est là qu’interviennent les directeurs sportifs pour les clubs et les agents pour les joueurs. Leur réseau fait toute la différence. Cela soulève parfois des questions de conflit d’intérêt. En effet, comment un agent peut-il gérer objectivement le contrat d’un ou plusieurs joueurs d’un club dont il est aussi agent de l’entraineur ? Un directeur sportif qui change de club et de championnat ne devrait-il pas avoir une clause de non concurrence pour ne pas siphonner les talents de son ancien employeur ? Je crains que face aux enjeux financiers, ces questions restent sans réponse. Toujours est-il qu’un directeur sportif bénéficiant d’un réseau solide, attira plus facilement les meilleurs joueurs dans son club.

Enfin, il existe d’autres types de pouvoirs que l’on appelle « Les pressions  PMT » acronyme de l’anglais People, Money, Time. La pression personnelle, la pression de l’argent ou celle du temps peuvent amener celui qui la subit à accepter des conditions moins favorables. Prenons l’exemple d’un joueur en manque de temps de jeu à l’approche d’une compétition internationale. Il sera susceptible de signer dans le premier club lui offrant une garantie de temps de jeu. Celui qui aura commis quelques mauvais placements fera un choix plus financier que sportif. Celui qui aura échoué dans un club médiatiquement exposé à cause de la pression, choisira sans doute l’option d’un club avec un environnement plus « familial ».

Ces pouvoirs sont souvent le fait d’une répartition naturelle mais peuvent être travaillé, renforcés, inversés et tant qu’il y un partage plus ou moins équitable de ces pouvoirs, il y a matière à faire des échanges.

La création d’options d’échange

On imagine souvent les discussions concernant le recrutement d’un joueur tourner autour du montant du rachat de contrat, appelé « montant du transfert » et du salaire du joueur, agrémenté des commissions d’agent. Une sorte de marchandage autour du prix comme pour un souvenir de vacances dans les souks mais avec des montants autrement plus élevés. En fait, les sujets pouvant servir de contrepartie en échange de concessions que l’on nomme « objets de négociation » dans le domaine commercial sont légion. Il s’agit donc bien de véritables négociations complexes et multi-parties.

Bien évidemment, le salaire de base du joueur, nommons le « fixe », est un point de départ et son montant dépendra de nombreux paramètres. Le budget du club et sa politique salariale, le salaire des autres joueurs de l’équipe au profil similaire et susceptible de demander un alignement en cas d’écart injustifié sont autant d’éléments à prendre en compte.

Mais il existe d’autres moyens de rémunérer le joueur. Citons par exemple les primes de match, la prime à la signature que les cadres dirigeants des grosses entreprises appelleraient « welcome pack » et beaucoup d’autres clauses telles que des primes « pour bonne conduite et respect de l’image du club »…

Dans ce domaine, la créativité n’a pas de limite.

La complexité de ces discussions vient aussi du fait qu’il ne s’agit pas uniquement de prévoir la rémunération du joueur mais sa valeur d’achat et de revente de contrat. En effet, le club acheteur doit payer un montant de transfert au club « propriétaire » du joueur. Une bonne ou une mauvaise gestion du contrat du joueur peut augmenter ou diminuer sa valeur et impacter significativement les finances du club. Un joueur arrivé libre en fin de contrat peut s’engager ou il le souhaite sans indemnité de transfert. Il va de soi, qu’il monnaiera cet avantage à son profit en réclamant une prime à la signature des plus conséquentes. Par contre, un club n’a aucun intérêt à laisser un joueur arriver en fin de contrat. C’est pour cela que les clubs proposent en permanence des prolongations de contrat à leurs meilleurs joueurs. Pour s’assurer de pouvoir les « revendre » au meilleur prix. Pour certain, c’est même un exercice financier stratégique. Le business model du club de Porto par exemple est basé sur la formation de jeunes talents achetés à moindre coût ou formé dès le plus jeune âge dans le centre de formation du club pour les revendre plus tard. Monaco en France s’inspire de cette méthode depuis quelques saisons mais un club comme Nantes a fonctionné ainsi pendant de nombreuses années.

Ce qui est intéressant ici, c’est la capacité des acteurs de cette transaction à créer des options et à les échanger.

Prenons l’exemple du montant de transfert. Si le montant est clairement spécifié dans le contrat sous forme de « clause libératoire » négociée avec le joueur en échange d’une prolongation de contrat, le cas est simple, bien que négociable. Par contre, si le montant est à discuter de gré à gré et que la concurrence entre clubs ne permet pas de faire monter les enchères, il va falloir trouver un accord et être créatif sur les moyens de créer et répartir la valeur. Parmi les différents moyens observé récemment nous pouvons citer les bonus, qui permettent de lier une partie du montant du transfert à des conditions de succès qui garantissent un retour sur investissement (ex : Nombre de match disputés par le joueur, nombre de buts marqués, qualification en coupe européenne..etc). Il peut aussi s’agir de clauses financières tel l’échelonnement des paiements, comme pour l’achat d’une voiture.

Le pari sur l’avenir est aussi une option. Un club modeste vendant une jeune pépite à un club plus huppé pourra demander un pourcentage sur la revente du joueur dans un autre club s’il confirme son potentiel.

Mais ce serait encore trop simple s’il ne s’agissait d’une négociation non pas tripartite (entre deux entre et le joueur) mais multipartite.

Le joueur, lui doit accepter la durée du contrat, dont dépendra le montant du transfert comme expliqué plus haut. Et il doit accepter de signer la clause libératoire qui déterminera le montant de son futur prochain transfert au cas où il souhaiterait partir de manière unilatérale. Tout cela se monnaie bien sûr.

L’agent sera vigilent sur le montant de sa prime mais aussi sur les conséquences des prochains transferts étant donné que sa rémunération dépendra du rythme et des montants de transfert de son joueur.

Les sponsors et autres annonceurs influerons également sur l’accord et feront peser tout leur poids dans la balance car de l’image du joueur et de ses résultats dépendent l’image de leur marque. Un équipementier d’une marque sponsorisant un joueur ne verra pas d’un bon œil son arrivée dans un club arborant une marque concurrente. Il demandera, souvent en accord avec le joueur, des clauses de liberté dans le choix de l’équipement en certaines occasions voir des clauses spécifiques concernant les droits d’image.

Tout l’art des négociateurs sera de créer un maximum d’options pour les échanger intelligemment et permettre à chacun de tirer un bénéfice acceptable. Ce qui représente de la valeur pour l’un ne coûte pas forcement autant à l’autre. C’est le principe de la création de valeur. Le talent consistant à optimiser son partage.

Les jeux et tactiques de déstabilisation

On cite souvent en exemple les méthodes et technique de déstabilisation utilisées par les acheteurs de la grande distribution pour perturber leurs fournisseurs et imposer leurs conditions. Elles sont effectivement redoutables même si les vendeurs sont de plus en plus aguerris et développent des contre-feux efficaces malgré le niveau de pression élevé.

Les méthodes utilisées plus ou moins spontanément par les acteurs du monde du football n’ont rien à leur envier. Il n’y a pas toujours de limites déontologiques et la fin justifie malheureusement souvent les moyens. Les enjeux financiers l’emportent souvent sur les valeurs morales.

La seule limite est celle du droit. Les avocats et conseils juridiques prennent parfois le pas sur les professionnels du métier. Chaque année, les tribunaux des prudhommes sont saisi d’affaires de rupture de contrat de travail contesté chez les entraineurs (ex : C Puel vs. Lyon). Il arrive même que des huissiers soit appelés à constater des mises à l’écart de joueurs se plaignant « d’empêchement d’exercice de leur profession » (ex : Peggy Luyindula vs. Psg).

Mais il existe de nombreuses tactiques de déstabilisation qui, si elles restent moralement contestables, sont totalement légales.

L’objectif de ces tactiques est de surprendre, il s’agit d’être imprévisible. Antoine Riboud, emblématique patron de Danone disait qu’il essayait toujours de « faire marrer les gens en négociation, que ce soit pour les mettre à l’aise ou, au contraire, pour les déconcerter ». Mais cela ne signifie pas être incohérent. Les sorties médiatique de Jean Michel Aulas par exemple sont toujours calibrées et ont toujours pour but de détourner l’attention. Soit pour protéger ses joueurs, soit pour « rehausser son tabouret », soit prendre le contrepied de son interlocuteur et avancer en parallèle sur le sujet qui l’intéresse vraiment.

Parmi les techniques généralement utilisées par les clubs et les agents, il y a bien évidement le bluff. L’un dira qu’il a de nombreuses options et hésite sur le profil du joueur à recruter quand l’autre affirmera qu’il a des offres concrètes d’autres clubs désireux d’investir sur son joueur.

C’est dans ce domaine que les médias et les réseaux sociaux sont le plus souvent utilisés. La course au scoop, renforcée par les nouvelles technologies fluidifiant la circulation des informations est un atout majeur pour les bluffeurs et les manipulateurs en tout genre.

Le chantage est, hélas, aussi une arme redoutable utilisée sans retenue. Combien de joueurs annoncent publiquement qu’ils préfèreraient mettre un terme à leur carrière si on leur refuse ce qu’ils demandent ? Sous entendant qu’ils perdraient alors toute valeur marchande ? Combien de joueurs menacent, au contraire, d’aller au bout de leur contrat en boudant et de partir libre si on ne les revalorise pas ? Le comble de l’hypocrisie dans ce cas est de revendiquer « le respect » dont ils considèrent être privés. Traduisons « Le montant du chèque ».

Certains font preuve de plus de subtilité, faute d’employer des moyens plus honnêtes. Comment certifier que la blessure d’un joueur en pleine renégociation de son contrat, alors que les médecins du club ne voient aucun symptôme apparent est « diplomatique » ?

Mais les clubs ne sont pas en reste en matière de moyens de pression. Un joueur international privé de temps de jeu et relégué « sur le banc » à l’approche d’une compétition majeure s’il refuse de signer le contrat proposé sera forcément déstabilisé. Il ressentira la fameuse « pression du timing ».

Les techniques utilisées lors des négociations commerciales sont donc très utiles dans cet univers de transfert de joueurs. La question qui se pose alors est celle de la professionnalisation du métier de négociateur dans les clubs de football. En effet, les discussions sont bien souvent laissées dans les mains d’anciens joueurs reconvertis dans les structures des clubs. S’ils ont la connaissance de ce milieu et des usages, ils sont sans doute un peu dépourvus face aux agents et autres businessmen dont le métier est de faire fructifier la valeur de leurs joueurs. Ils sont sans doute aussi un démunis face aux sponsors dont les commerciaux sont formés à la vente et à la négociation. La difficulté restera de trouver le bon équilibre entre des connaisseurs du monde du football indispensables pour prendre les bonnes décisions sportives et les professionnels de la négociation à même de défendre les intérêts économiques du club.

Gageons qu’ils négocieront pied à pied leur champs de responsabilité et leurs domaines d’influence. Mais il s’agit là d’un autre sujet…