Les leçons de la négociation du Brexit ?

Le vote du référendum du 23 juin 2016 au Royaume Unis a provoqué un choc et fait prendre conscience que la sortie d’un membre de l’union pouvait devenir une réalité.
Pour préparer au mieux cette séparation, une négociation de plus de 3 ans, dont la première phase s’est achevée par la ratification de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne le 31 Janvier 2020, a permis de traiter trois sujets principaux : un accord financier sur la compensation à verser, une solution à la question frontalière irlandaise, et la fixation d’une date effective de sortie.
La seconde phase de la négociation a déjà commencé et devrait s’achever d’ici la fin de la période de transition qui s’est ouverte jusqu’au 31 décembre 2020. Deux sujets vont maintenant être discutés : les droits des citoyens (la situation des expatriés et les droits au séjour) et les nouvelles règles commerciales (accords bilatéraux permettant de régir les relations commerciales entre les deux zones économiques).
Voyons les leçons à tirer de ces trois années de négociation acharnée :
1ere leçon = La préparation – Mettre en place une structure
Chacun sait qu’une négociation réussie repose sur sa préparation. Aussi, le choix de l’organisation de l’équipe de négociateurs, de la gouvernance pour assurer la prise de décisions et du profil du négociateur en chef est un facteur clé du succès.
Ici, la Commission a désigné comme « chef de l’équipe de négociation de l’Union » Michel Barnier le 27 juillet 2016 et mis en place dès le 14 septembre la « task force » (l’équipe de négociateurs au sein de la Commission). L’union a mis en place une méthodologie répartissant les responsabilités, à la fois de manière horizontale, incluant l’ensemble de ses institutions, et verticale intégrant des équipes de fonctionnaires et de diplomates.
Par ailleurs, en choisissant de rompre la coutume de choisir un haut fonctionnaire ou un diplomate pour mener les discussions, comme c’est habituellement le cas pour les négociations commerciales ou diplomatiques, l’UE a réalisé ce que les Anglo-Saxons appellent un  » game changer « . Ancien ministre français et ancien commissaire européen, Michel Barnier présentait un double profil d’homme politique expérimenté et de connaisseur des arcanes administratives et juridiques européennes.
La clarté de la structure, le choix du profil du négociateur couplée avec la rapidité de la mise en place s’est avéré être un avantage déterminant dans la négociation.
2eme leçon = La préparation – Poser l’ancrage des principes cardinaux
Les institutions et les 27 Etats membres ont posé, dès le début de la négociation, des  » principes cardinaux « , déduits des traités et correspondant à leurs intérêts collectifs, sur lesquels allait reposer leur unité :
– Pas de statut particulier pour le Royaume-Uni :  » Un pays non membre de l’Union, qui n’a pas à respecter les mêmes obligations qu’un État membre, ne peut avoir les mêmes droits et bénéficier des mêmes avantages qu’un État membre.  »
– Intégrité du marché unique :  » Les quatre libertés du marché unique sont indissociables et ne sauraient faire l’objet d’un « choix à la carte ».
– L’Union ne changerait pas ses règles pour s’adapter au départ du Royaume-Uni.
En posant cet « ancrage », c’est-à-dire, en fixant les bases de la discussion, l’UE a mis le Royaume unis en situation de « demandeur », l’obligeant à proposer des solutions compatibles avec les règles édictées.
Lorsqu’un négociateur pose cet ancrage en début de négociation, il doit le faire de manière factuelle et argumentée mais il doit surtout être en situation de pouvoir se le permettre. D’où la leçon suivante.
3eme leçon = La répartition des « Pouvoirs » autrement appelés le « Rapport de force »
Il n’est pas toujours facile d’identifier où se situe le rapport de force dans une négociation. De nombreux paramètres entrent en compte : le pouvoir de l’information, le pouvoir économique, le pouvoir de légitimité, la pression du temps, l’historique de la relation etc…
Dans le cas du Brexit, l’unité affichée par l’EU derrière l’équipe de M. Barnier, s’est révélée être un véritable atout. D’ailleurs, dans ses orientations du 29 avril 2017, le Conseil européen affirma :  » Tout au long de ces négociations, l’Union restera unie et agira comme un seul bloc  »
De leur côté, les représentants du Royaume unis se sont retrouvés affaiblis, faute d’un alignement des points de vue dans leurs rangs (oppositions entre Brexiter durs, Brexiter soft et anti-Brexit réclamant un nouveau vote). Aucune majorité ne se dégageant pour porter une position ferme vis-à-vis de l’UE.
Il n’est cependant pas certain que cet avantage perdure, maintenant que les britanniques ont élu Boris Johnson, soutenu par une large majorité de la chambre des représentants de son pays.
4eme leçon = Bien choisir sa technique de négociation – « Salami » ou « Globalisation » ?
Il existe deux principales techniques de négociation.
L’une est appelée « Globalisation » et consiste à mettre tous les sujets sur la table, pour procéder à un échange de concessions contre contreparties afin de trouver un accord satisfaisant pour les deux parties. Cette technique est bien évidement plus collaborative mais nécessite un bon niveau de confiance et un équilibre des rapports de force.
L’autre est appelée « Salami » et consiste à négocier chaque point, l’un après l’autre, en refusant de discuter des suivants tant qu’un accord n’a pas été trouvé sur le premier. On choisira cette technique du « Salami » lorsqu’on sera en position de pouvoir l’imposer car elle permet de traiter en priorité les points les plus importants pour celui qui l’impose.
C’est cette technique que l’équipe de Michel Barnier a choisi d’adopter. Ainsi, ils ont refusé de discuter des accords bilatéraux permettant de poursuivre des relations commerciales privilégiées avec l’UE tant que l’aspect financier de la sortie du Royaume unis ne serait pas traité. Ils ont d’ailleurs obtenu un accord sur un montant de 45Mds d’euro. Ils ont ensuite demandé de clarifier la situation de la frontière Irlandaise, avant de finaliser les conditions et la date de sortie officielle du Royaume unis.
5eme leçon : résister à la pression sans casser l’élastique
Cette première partie de la négociation a duré plus de 3 ans et demi et les sujets de tension ont été très nombreux. Les positions étaient très éloignées et la pression des populations sur leur élus a sans doute renforcé les antagonismes.
A plusieurs reprises, le fil de la discussion aurait pu rompre. Et notamment, à chaque fois que, faute d’accord, un nouveau report de la date effective de sortie était demandé.
La force des deux équipes aura été de maintenir les discussions ouvertes tout en restant ferme sur leurs positions. C’est ce que l’on appelle en négociation être « dur sur les faits mais souple sur l’homme ». C’est la preuve que résister à la pression et défendre ses intérêts peut se faire sans agresser son adversaire ou claquer la porte. Il faut dire que les enjeux de part et d’autre ne permettaient pas vraiment une rupture complète des relations. Un accord était obligatoire.

Pour ce qui est de la dernière leçon, nous ne pourrons la tirer qu’en toute fin de négociation. En effet, cette négociation sera réussie si elle aboutit à un accord acceptable pour chacune des parties et viable sur le long terme. Cela passera par la préservation de la relation, chacun devant pouvoir sauver la face. Comme le disait Sun Tsu « Ton ennemi d’aujourd’hui peut être ton sujet de demain ».